Susanna Legrenzi
Bien qu’il soit de Modène comme Enzo Ferrari, Franco Fontana, l’un des maîtres italiens de la photographie, n’avait jamais photographié l’une des voitures du Drake, surnom du fondateur de Ferrari. Jusqu'au jour où une rencontre fortuite fut à l'origine de l'une des photos les plus emblématiques d'une Ferrari Testarossa
Riccione, 1985. Un magazine américain appelle Franco Fontana, l'un des photographes italiens les plus célèbres, né à Modène en 1933, citoyen du monde ne connaissant pas un mot d'anglais, pour lui commander un reportage sur la Ferrari Testarossa. L'histoire ? C'est ici qu'elle commence. « Je n’étais pas un grand fan de moteurs, mais la Testarossa a toujours été une icône pour les habitants de Modène », raconte-t-il. « Ainsi, j'appelai le directeur marketing de Ferrari qui mit un pilote-essayeur à ma disposition. Nous nous dirigeâmes à toute vitesse vers Riccione.
J'ai passé toute la journée à photographier la Testarossa devant les cabines de plage, sans être jamais satisfait. Au coucher du soleil, alors que nous étions déjà sur le chemin du retour, j'ai remarqué un chantier en mer. Nous avons garé la voiture sur la plage. La marée était basse. La Testarossa se reflétait dans l'eau. Mais ce n'était pas assez pour moi. C'est alors qu'un groupe de jeunes avec un chien passa tout à fait par hasard.
C'était un dalmatien. Pas un basset, pas un chien loup, mais un dalmatien avec sa robe noire et blanche comme les rochers en arrière-plan. « Ç'est bon, j'y suis », pensai-je. Et il en fut ainsi. Au fil des ans, j'ai pu entendre toute sorte de commentaires à propos de ce chien. Même qu'il était en céramique. Quand je raconte la genèse de ce cliché lors de mes ateliers de photographie, je ne manque jamais de montrer les photos du chien dans toutes les positions : devant, derrière, dessus, dessous... Tout cela pour dire que, au-delà de l'anecdote, le hasard ne devient un fait que lorsqu'il est compris ». Une fois de retour à Modène, Fontana remettra les impressions au directeur marketing.
Enzo Ferrari fut immédiatement conquis. Il demanda une lithographie. Il signa 50 copies, transformant ainsi une journée à Riccione en l'une des photos les plus iconiques de la Testarossa. Connaissait-il le Drake ? « Oui, nous nous connaissons tous entre Modénais », confie Fontana. « Je me souviens des dîners de remise de prix organisés par la Mairie. Il était ponctuel, s'entretenait cordialement avec tout le monde, ne buvait que de l'eau et prenait congé des invités vers 22 h 30 avec élégance. Il est passé une fois à mon magasin de meubles. Oui, car j'ai été propriétaire d'un showroom de design jusqu'en 1971, le premier à Modène. Il cherchait un canapé pour son bureau. Il regardait ici et là. Finalement, il envoya sa secrétaire le choisir.
Passer un après-midi avec Franco Fontana, c'est un peu comme aller chez un psychanalyste. Pas un freudien, mais un psychanalyste zen qui raconte et vous observe de l'autre côté d'une grande table dans une pièce remplie de livres, de tableaux, d'objets en porcelaine et en cristal venant des quatre coins du monde. Sur la table trône son autobiographie qui débute à Modène pour revenir dans cette même ville après avoir parcouru avec frénésie les cinq continents. Les souvenirs du premier book publié en 1964 par « Popular Photography ». Les photos de mode pour « Vogue America ». Les campagnes pour les géants du marché, allant de l'industrie des transports jusqu'aux loisirs. La liste de quelques-unes des 400 expositions qui ont rendu hommage au maître absolu de la couleur : de la Maison Européenne de la Photographie à Paris jusqu'à la dernière exposition personnelle, intitulée « Franco Fontana Sintesi », en passant par la Fondation Modena Arti Visive. Sous l'objectif de Fontana, un chantier de Francfort se métamorphose en un tableau de Paul Klee, une plage de Floride en un lieu absolu, un détail de l'architecture new-yorkaise en un fragment abstrait...Le secret ?
« Il faut photographier ce que nous pensons et pas ce que nous voyons. On prend des photos avec la tête, pas avec les doigts. Aussi parfait que puisse être un paysage, la photo restera muette jusqu'à ce que son auteur accepte de sonder ses propres entrailles. La photographie d‘art n'est pas une carte postale. L’artiste n'a de raison d'être que s'il crée un univers ».